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Extrait 1   |   Extrait 2

p. 51 à 52


- J'ai faim, coupa Sylvain.

Il avait mal aux mollets et sentait son estomac grogner. Il alluma la cigarette.

- Tu attendras, fit Érik.

- Où est-ce qu'on dormira, cette nuit ?

- J'en sais que dalle !

Sylvain détourna le regard et tira avec rage sur sa cigarette jusqu'à ce que le mégot lui brûle les doigts. En contrebas s'étendait le Saint-Maurice, majestueux, d'un bleu profond. Il s'appuya à la rambarde qui surplombait la vallée et emplit ses yeux du paysage. L'eau l'attirait avec force. Oh, s'y engloutir, tout oublier, se laisser couler jusqu'au fond... Depuis leur arrivée au Canada, il éprouvait une gêne insupportable devant son frère, une incapacité totale à aborder les questions essentielles : où allons-nous, que faisons-nous ici, quand rentrerons-nous à la maison et y rentrerons-nous un jour ? Et les parents ? Et ma.? Le mot interdit était sur ses lèvres. Jamais Érik ne faisait allusion au passé. Et son vague projet d'aller à Hollywood, le cahier, l'idée du scénario et du film, d'une gloire future, s'étaient aussi volatilisés.

Sylvain fixait l'eau bleue, si proche lui semblait-il, qu'il aurait pu y plonger la main. Ses jambes flageolaient. Il avait de nouveau, dans l'estomac, une boule dure comme du plomb. Un jour, il serait obligé de questionner Érik. Ils ne pourraient pas continuer éternellement. Ils devraient bien s'arrêter quelque part, prendre une décision. Bon Dieu, Érik le tuerait !

Soudain, tout se mit à tourner autour de lui. Il s'accrocha des deux mains à la rambarde. Il ne voulait pas que son frère remarque son malaise, mais, malgré ses efforts, ses jambes se dérobèrent sous lui. Poupée de chiffon, il s'affala dans l'herbe humide, la tête contre le fer glacé de la rambarde.

- Qu'est-ce que tu fous là ? dit Érik. Debout ! On a encore de la route.

Comme Sylvain ne bougeait pas, il s'approcha, le secoua.

- Qu'est-ce que tu as ? Réponds !

Le visage de Sylvain était blême, ses narines étaient pincées comme celles d'un mort, ses prunelles bougeaient par saccades. Affolé, Érik regarda autour de lui. Si son frère mourait, que deviendrait-il, lui? Jamais il ne pourrait continuer seul. Jamais il n'arriverait à Chicoutimi. Il le prit sous les bras, le tira et l'adossa à la rambarde. Le corps était mou et sans résistance. Érik assena de petites claques sur les joues de Sylvain. Le visage de celui-ci retrouva ses couleurs, le regard parvint enfin à se fixer.

- Tu m'as fait peur, petit con.

- Chacun son tour, murmura Sylvain, mais Érik n'entendit pas.




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