Le vieil homme fixait un point au loin, les mains appuyées à la balustrade, le buste légèrement penché. À ses pieds était posée la mallette de cuir. Le vent rejetait vers l’arrière ses cheveux gris et une volonté farouche émanait de son visage tendu. Il ressemblait à un prophète. Elle regarda ses mains : elles étaient crispées, agrippées au bord de la balustrade comme deux serres, et des veines bleutées saillaient sous la peau.
« L’expérience que vous avez faite sur vous, prononça-t-elle douloureusement, comptez-vous en parler au Congrès ? »
Il tourna la tête vers elle, revenant soudain sur terre.
« Ah, Marie, Marie... Vous êtes si jeune, si naïve... Je suis ici pour ça et uniquement pour ça, fit-il en détachant les syllabes.
- Vous m’aviez dit que vous comptiez faire un rapport sur les recherches de vos collaborateurs. C’est donc faux ?
- Disons que... ce sera une partie de ma communication mais pas l’essentiel. Ça vous satisfait ? »
Décontenancée, Marie le regarda. Elle était impuissante face à ce vieil homme pour qui plus rien ne paraissait compter que sa découverte. Il était malheureux, l’obsession le rongeait ; elle pouvait le deviner rien qu’en observant ce visage de Christ tourmenté qu’elle avait trouvé si beau il y avait quelques minutes. Les joues étaient creusées, des plis profonds barraient le front et une barbe de quelques jours donnait à l’expression quelque chose de diabolique. Un diable triste, songea-t-elle.
« Oui, je dévoilerai les résultats des expériences que j’ai effectuées sur moi ! Oui, je prouverai que j’ai acquis l’immortalité, si c’est ça que vous voulez savoir ! Je ne peux plus attendre, poursuivit-il rapidement. Je ne peux plus attendre l’expiration du délai que je m’étais fixé ! Ce n’est plus possible maintenant. J’ai passé ces trois derniers mois à travailler au labo, la nuit, seul. Et tout, absolument tout, confirme la validité de mon idée de départ. »
Il s’interrompit, haletant, et jeta un coup d’œil méfiant autour d’eux.
« On a découvert que je travaillais la nuit. Je ne peux plus faire confiance à personne sauf à vous. Mais, cette après-midi, je serai enfin délivré du secret. »
Marie commença une phrase puis se tut. Folliett consulta sa montre, se frotta les mains d’un air satisfait et, se tournant vers elle :
« Dans une heure, le monde scientifique s’écroulera. Ma découverte va les stupéfier ! Vous vous rendez compte, Marie ? Ils auront devant eux non seulement le premier savant à avoir découvert l’immortalité mais aussi le premier humain immortel ! Tous ces petits chercheurs dont les titres universitaires et honorifiques s’étalent sur dix pages et qui se prennent pour Einstein, tous, vous m’entendez, tous seront à mes pieds ! »
Son regard vola au loin, au-dessus des toits des maisons, bien au-delà de Paris. Il était ailleurs, dans son monde à lui. Quoi qu’elle dise maintenant, il n’en tiendrait pas compte : sa décision était prise depuis si longtemps... Il voulait la gloire, il l’aurait probablement, et les retombées de sa découverte ne représentaient pour lui rien de plus qu’un détail.
Quelques minutes après, Cécile revint vers eux et ils descendirent le grand escalier de la tour. La petite fille demanda si elle pouvait rester à l’hôtel l’après-midi, pendant qu’aurait lieu la conférence de Folliett. Elle irait nager dans la piscine, elle était assez grande pour se débrouiller toute seule, dit-elle en regardant le professeur pour quêter son approbation. Il lui demanda son âge (il l’avait complètement oublié) et elle lui répondit fièrement qu’elle avait eu huit ans en novembre. Ils marchèrent dans les rues ensoleillées et poussiéreuses de Paris, Cécile entre eux qui leur avait pris la main.