Quand les gendarmes avaient reçu l’ordre d’épauler, Julian avait d’abord cru à une simple menace. Très rapidement, il avait compris que les choses devenaient beaucoup plus graves. Les premiers qui tombèrent furent les manifestants de l’avant du groupe. Ils s’effondrèrent comme des masses et disparurent immédiatement, happés, engloutis, piétinés par ceux qui suivaient. La foule continua à avancer, implacablement poussée vers l’avant. Des cris s’élevèrent soudain et les manifestants des premiers rangs essayèrent de faire demi-tour, jouant des poings pour se frayer un passage en sens inverse. Il y eut encore de nouveaux tirs alors que les chars poursuivaient leur lente progression. Devant, un jeune homme avait continué à avancer, un bras tendu vers le ciel. Dans la lumière blafarde de cette après-midi d’hiver, il marchait calmement vers le premier char. Quand il fut à une quinzaine de mètres, le char roulait toujours. Il ne restait plus que dix mètres maintenant et Julian, incapable de détacher son regard de cette scène d’une beauté tragique, eut l’impression que son cœur s’arrêtait de battre. Plus que cinq mètres... Un soldat s’approcha, une mitraillette à l’épaule. Le corps du jeune homme se mit soudain à exécuter des mouvements saccadés sous les rafales puis retomba sur le sol comme une poupée disloquée. Le char dévia légèrement sa trajectoire pour éviter le corps.
