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Extrait 1   |   Extrait 2

p. 55 à 57


Les gens sont sots ! Dans ma vie d'avant, j'avais une belle-mère. Elle mettait du saindoux sur ses tartines. Un jour, elle a avalé le sirop préparé pour mon petit Cyprien : des figues bouillies, de la réglisse et du sucre candi. Elle avait tellement rempli son estomac qu'en sortant de chez moi, elle a dû s'accroupir sur la place du village. Puis elle m'a demandé un seau d'eau pour se laver. Un autre jour, en voyant un suppositoire, elle a cru que c'était un bonbon. « Vaut mieux panse crevée que pomme de terre laissée », elle disait.

J'ai de beaux vêtements dans mon armoire : des robes en coton, des gilets, et les deux paires de bas qu'elle m'a apportées. Si Albert voyait ça !

Dès qu'elle arrive, je lui montre mes petites affaires. Elle porte de nouveau son affreux djin. On dirait un marin. La fois passée, elle est venue avec une jupe qui montrait ses genoux. J'ai dit : « Tire sur ta jupe, on voit ta culotte ! » Elle a eu l'air gêné, a posé son sac sur ses cuisses et fait semblant de rien. La semaine suivante, elle avait apporté un appareil photographique. Cette jeune personne est bien gentille, décidément.

Elle a pris des photographies de moi. Je portais ma petite robe mauve et mon foulard. Puis elle m'a donné l'appareil. J'ai fermé mon oil. Avec l'autre, je la voyais tout entière. Elle était assise sur ma chaise. Elle souriait, les bras croisés. J'ai poussé sur le bouton rouge qu'elle m'avait montré. « C'est bien », elle a dit. La fois suivante, elle a apporté les photos. Comment un si petit appareil peut faire de si grandes photographies ? Encore un mystère.

Elle n'a pas d'enfant. C'est bien étrange. Comment vit-on sans enfants ? Elle aime beaucoup son Gérald. Et lui ? L'aime-t-il ?

 

Je marche dans le couloir. J'ai abandonné la drôle de chose qu'on m'avait donnée pour m'aider à avancer plus vite.

Les toilettes. Vite, ça presse. Et puis, soudain, mon coeur s'affole. Deux pieds dépassent sous la porte ! Je l'ouvre. Une femme est couchée, la tête pleine de sang contre la cuvette des toilettes. Vite ! Je crie. On vient. J'en oublie pourquoi j'étais venue.

Marie-Louise dit : « Tu sens pas bon, Ma'ame Somers. Tu as fait pipi dans ta culotte ? »

Elle me soulève de mon fauteuil, tire sur ma robe vers le haut. Je tire plus fort qu'elle, vers le bas. Ça y est, elle a gagné. Ses grosses mains noires me palpent, me retournent. J'ai froid. Un pigeon me regarde. Je lui tire la langue. Sale bête !

Ce matin, j'ai eu mon bain. Quelques centimètres d'eau claire. Je m'accroche au bord, j'ai peur ! Elle - la jeune personne - veut m'emmener dehors, dans le jardin. Pas question ! Si le vent me prend, je tombe. Et si je tombe, on me mettra au deuxième étage.

Je suis allée avec elle me choisir des culottes et un corset. Nous avons pris l'ascenseur. En haut, le long des murs, il y avait des étagères pleines d'habits. Une dame repassait des vêtements. Tout était gris, ça sentait l'eau de Javel.

J'ai reçu mes culottes et mon corset. Avec en plus, une robe. Je lui ai dit, à elle : « Ce sont les affaires des morts. » Elle a eu l'air effrayé. J'ai ajouté : « Quand je serai morte, les miennes aussi iront là. »

 

On meurt beaucoup ici.




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