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Extrait 1   |   Extrait 2

p. 431 à 433


Mathilde vint près de lui, s’accrocha à son bras. Il la repoussa brutalement.

- Petite catin ! cria-t-il.

L’injure lancée à Mathilde décupla la révolte de son frère. Le jeune garçon envoya son poing dans la figure du forgeron qui chancela. Mathilde s’écarta, les bras serrés contre son ventre. À la lueur de la chandelle, elle les vit s’empoigner à bras le corps. Ils roulèrent sur le sol, haletants, dans une étreinte furieuse. Benoît tira Josselin à lui, le força à se relever. Déséquilibré, le forgeron bascula sur la table. Il se releva d’un coup de rein, envoya son pied dans l’aine de Benoît qui se plia en deux, accablé de douleur. Fou de rage, le jeune homme se rua sur le forgeron mais celui-ci, plus costaud, le serra à la gorge en lui coinçant une main derrière le dos. La huche se renversa, les écuelles volèrent au sol… La lutte continua de plus belle. Josselin et Benoît roulèrent sur le sol. L’écrasant de tout son poids, le forgeron tenait Benoît à la gorge d’une poigne de fer. Le jeune homme se débattit, parvint à se dégager. À nouveau, Mathilde s’interposa pour les séparer tandis que Josselin, à présent relevé, ne cessait de l’injurier, petite catin, traînée…, un bâtard…, et que soudain elle sentait son ventre transpercé par une douleur fulgurante, comme s’il se déchirait de l’intérieur, plus qu’une plaie, Seigneur que j’ai mal, oh non, pas cela, je donnerais ma vie pour que… Il y eut encore un coup d’une brutalité inouïe, au même endroit de son corps. Et la chandelle s’éteignit, les ténèbres se firent soudain pendant que les deux combattants tournoyaient comme des fauves déchaînés dans une rixe sans fin. Benoît, un œil à demi fermé, hagard de douleur, tenait bon. Moins habitué à la lutte que Josselin, il ne put résister lorsque celui-ci l’entraîna hors de la masure, vers le poulailler. La volaille s’éparpilla en caquetant sous la danse furibonde des antagonistes. Après un coup de poing plus brutal, Benoît tomba. Il se redressa avec une extrême lenteur pendant que Josselin, suffoquant, une main appuyée à la paroi, reculait pas à pas vers la sortie du poulailler. Ses yeux exorbités fixaient Benoît qui avançait vers lui.

Le choc fut fracassant. Josselin s’écroula et demeura inerte, contre le mur du poulailler. Benoît lâcha l’épée qui tomba sur le sol avec un bruit sourd.

Mathilde était restée affalée dans un coin de la masure, blême, le corps replié, le buste à demi-appuyé à la huche renversée. Elle respirait vite, par petites suffocations. Elle se traîna jusqu’à la porte, à genoux, appuyée sur les mains, aspira une grande bouffée d’air froid. Le souffle rude et précipité de son frère lui parvint. Il se pencha vers elle, l’empoigna sous les bras et la tira à l’intérieur, dans la pièce dévastée. Ses gestes étaient saccadés, ses paroles incompréhensibles.

Un long moment, le frère et la sœur restèrent enlacés. La tête de Benoît reposait sur la poitrine de Mathilde. La main de Mathilde allait et venait doucement sur les cheveux et le front du jeune garçon. Elle souffrait, son ventre n’était plus qu’une plaie, son âme meurtrie à jamais – et elle avait la certitude que le petit être à qui elle aurait pu donner tout l’amour qu’elle possédait n’avait pu survivre aux assauts de Josselin. Une mère sent ces choses-là… Cependant, elle se mit à chantonner, les paupières closes. Et elle ne cessa que quand Benoît fut apaisé. Elle n’avait plus de pensées pour Josselin, ni en bien, ni en mal. L’obscurité enveloppait la masure. Les arbres noirs étendaient leurs longs bras vers un ciel étoilé. Demain, il ferait beau peut-être. Les gens de Tahorches sortiraient de chez eux pour la messe du dimanche ; et le Seigneur leur offrirait ses promesses, l’espoir d’une vie meilleure.

Un chien se mit à hurler à la mort.




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