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p. 142 à 144


Rouen, le 15 mai

Mon Élisabeth,

 

N'avez-vous plus confiance en moi ? Pourquoi m'avoir caché ce que j'aurais pu entendre ? Le silence de votre bel amour depuis quatre mois est bien explicable. Vous m'avouez seulement maintenant qu'en janvier dernier, lors de votre dernière rencontre avec lui, vos propos ont été durs, impitoyables. J'essaie de comprendre, Élisabeth. Et pour mieux ce faire, j'agis comme parfois, c'est-à-dire en répétant à ma manière ce que je sais déjà. C'est tautologique, vous me l'avez déjà fait remarquer, mais tant pis. Reprenons. En janvier, vous avez donc tous deux une longue conversation. A. est prévenant, tendre, gai, plutôt bavard. Vous vous trouvez dans l'établissement où vous étiez allés la veille de Noël, le petit café populaire près de La Régence. Comme l'endroit est peu fréquenté cet après-midi-là, vous avez tout loisir d'une conversation intime, sans regards indiscrets. Vous évoquez son prochain spectacle, la musique, l'amitié, l'amour… Soudain, comme à son habitude, A. pose une question à brûle-pourpoint : « Seriez-vous capable, Élisabeth, de partir en quittant tout ? » Vous ne répondez pas. Il insiste, vous hésitez. Cela vous semble évident que pour lui, « en quittant tout » signifie quitter Bertrand. Sidérée, vous répondez. Ce que vous n'auriez jamais dû répondre.

Élisabeth, comment avez-vous pu ? La question n'était sans doute pas aussi orientée que vous l'avez imaginé. Songeait-il à votre époux ? Ce n'est pas sûr du tout. Je parie qu'il aurait pu interroger de même l'un de ses amis, sans aucune arrière-pensée. Heurtée de plein fouet, vous avez riposté : « Comment pouvez-vous ? Quelle indélicatesse ! Vous n'êtes qu'un enfant insolent qui n'a jamais été remis à sa place ! Je regrette que ce soit à moi de le faire. Laissez-moi ! Laissez-moi seule pour toujours ! » D'un coup, il s'est levé de table et a jeté avec colère : « En ce cas, adieu Élisabeth ! J'espère ne plus jamais vous revoir ! » Vous êtes restée pétrifiée, incapable de courir derrière lui pour le retenir. Déjà, il s'éloignait dans la rue, à grands pas furieux, les poings serrés dans les poches, je peux l'imaginer comme si j'avais été là.

Les dés étaient jetés. Lui, trop orgueilleux pour revenir sur ses paroles. Vous… mon Dieu, vous, Élisabeth ! tout aussi orgueilleuse, excusez ma franchise un peu rude. Il aurait suffi de si peu. Et la lettre que vous lui avez adressée par la suite n'était guère plus engageante que vos propos. « Si je vous ai froissé, je le déplore, mais c'était le fond de ma pensée et je ne regrette point vous l'avoir dit », lui écriviez-vous. Je ne vous saisis plus. Pour dissiper ce regrettable malentendu, il eût encore été possible de rattraper votre bévue en mettant du miel là où est la blessure. Car ce jeune homme a été profondément blessé. Sa réaction irréfléchie et définitive ne lui laissait pas le choix. Maintenant qu'il a lu votre lettre, il ne peut que rester sur ses positions.

Cependant, le temps guérit les plaies, Élisabeth. Votre tendre amour vous reviendra. Ne vous est-il pas toujours revenu ?




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