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Extrait 1   |   Extrait 2

p. 107 à 109


Le soir tombait sur le grand jardin d'Emmanuel. Près du saule, on distinguait encore la forme de la balançoire. Au loin, une voiture klaxonna. Le frère de Siri tressaillit. (...) Il se leva, entra dans la maison et revint avec un candélabre. Ses gestes étaient sûrs, son visage était noble et mystérieux dans les reflets dansants des flammes. Il s'assit sur un banc en bois, face à sa sour. Sur la table traînaient encore les restes du repas.

- Raconte-moi, murmura-t-il. Qu'y a-t-il dans ta petite tête de grenouille ?

Elle s'était confiée, elle avait tout expliqué : sa relation trouble avec Dorian, son angoisse, ses doutes.

- Dis-moi, Siri. Ah... sous la torture, tu parleras !

Dans la pénombre, il fit mine de s'approcher d'elle pour la chatouiller comme quand ils étaient enfants.

- Tout est embrouillé, commença-t-elle. Deux discours contradictoires s'opposent dans ma tête.

- Tu réfléchis trop.

- Non... J'entends des voix.

- Jeanne d'Arc ? Il te manque encore la frange, l'armure et l'arc !

- Ne te moque pas, Emmanuel. J'entends deux voix. L'une me dit : Dorian a une attitude inexplicable, mais il éprouve des sentiments profonds envers moi.

- Et l'autre ?

- L'autre me dit : il est dangereux, il a fait de la prison, je ne sais rien de lui parce qu'il me cache une partie de son passé, il n'est peut-être pas net. Mais si c'est le cas, qu'a-t-il commis d'inavouable ? Et si c'était un meurtrier ? Combien de mois, d'années est-il resté derrière les barreaux, Dorian Kovalevski ? Il m'aurait suffi... il me suffirait maintenant de taper son nom sur un moteur de recherche et...

- ... et cela te confronterait à une réalité nue, cruelle, une réalité que tu refuses, Siri ! Je te connais. Tu n'es pas, comme certaines femmes peuvent l'être, excitée à l'idée d'avoir pu fréquenter un criminel.

- Certainement pas, dit-elle. Mais j'ai toujours eu la conviction que notre amour, à Dorian et moi, devait rester pur et parfait, dans la solitude de la camionnette, loin du regard des hommes, loin de la justice des hommes.

Elle se tut. Leur amour ? Elle avait dit leur amour... Mais Dorian lui avait-il déjà murmuré « Je t'aime » ? Peut-être en russe... Elle ne savait plus.

- Et s'il m'avait donné une fausse identité ? poursuivit-elle.

- Ne te fais pas tout un cinéma.

- Et s'il avait commis un crime ?

- Serais-tu encore capable de l'aimer ?

- Ne réponds pas à ma question par une autre question ! s'agaça la jeune femme. Je répète : s'il avait commis un crime ?

Emmanuel soupira.

- Il y a moyen de le savoir.

Elle s'étonna :

- Par la voie... légale ?

Elle devina qu'il approuvait :

- Tu ferais ça pour moi, Emmanuel ? Toi, en tant qu'avocat ? Mais est-ce que tu en as le droit ?

- C'est mon problème, dit-il.

Le regard brouillé de larmes, elle éclata de rire :

- Si tu n'étais pas mon frère, tu serais l'homme de ma vie !

- Oh non, Siri ! Au fond de toi, tu sais très bien qui est l'homme de ta vie.




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